Témoignage de Alice C.

Ce furent quatre belles rencontres, à l’écart du monde et du temps. Autour de Binta et d’Alessia. Nous étions trois, unies par notre expérience – plus ou moins récente, plus ou moins digérée – du cancer du sein. Avec l’envie, le besoin d’en parler encore et encore, comme des anciens combattants qui évoquent leurs souvenirs de guerre.

La première rencontre, dans un studio cozy du 6e arrondissement, a été faite de paroles échangées, pendant que nos mains tissaient et nouaient des cheveux artificiels – une proposition de Binta qui faisait écho à sa propre pratique artistique comme à notre vécu de femmes qui ont perdu leurs cheveux, connu la perruque, puis le retour de cheveux nouveaux, différents, étranges, étrangers et pourtant combien bienvenus. Echo des cheveux que nous tissions, écho de nos propres cheveux, Binta nous a lu un passage, pioché au hasard, du roman La Tresse, que j’étais la seule à ne pas avoir lu. Je n’en ai sans doute rien entendu vraiment sur le moment, mais le titre ne m’avait pas laissée indifférente, une graine était semée… Retombée par hasard sur le livre quelques mois plus tard, je me suis plongée avidement dans sa lecture. Bouleversante par l’effet-miroir qui surgissait à nouveau et le rappel de cette perte douloureuse de mes cheveux, à la fois déjà si lointaine et en même temps si vite ravivée.

Après les cheveux, c’est le reste du corps qui a surgi, qui s’est abandonné à deux reprises, entre les quatre murs dépouillés du Centre de danse du Marais, grâce à la douce voix, si calme et rassérénante d’Alessia, dont l’anglais mâtiné d’un léger accent italien créait une distance juste et peut-être nécessaire. Il y avait là un miroir, comme il se doit dans une salle de danse, mais c’est vers un miroir intérieur que nous nous sommes tournées, les yeux presque toujours fermés, déambulant dans l’espace, mouvant une partie ou une autre, entraînées par une musique lancinante et un abandon dont je n’aurais pas pensé être capable… Nous avions beaucoup parlé lors de la première séance ; la deuxième était au-delà des mots, dans le ressenti, une expérience intérieure solitaire et pourtant intensément partagée à travers le contact des mains des autres. Nous avions commencé la séance en évoquant nos corps transformés, mutilés, la difficile acceptation, la difficile adaptation. A l’issue de cette danse sensorielle, j’avais un profond sentiment d’unité et de complétude.

La dernière rencontre s’est déroulée au Parc des Buttes-Chaumont, dans une parfaite continuité malgré le changement de cadre et l’espace ouvert au regard des promeneurs. Recherche d’un centre de gravité à deux, d’un équilibre dans la confiance dans l’autre, confiance aussi dans le sens du toucher pour peindre les yeux fermés, oubli de soi pour se laisser recouvrir de peinture à travers une feuille si mince que la peinture semble vouée à passer au travers…

Quatre belles et intenses rencontres. Des graines semées. Des fils tissés. Des nœuds dénoués.

A toutes, MERCI.

Alice C.